14.2018/ “La pédagogie : faut-il en parler avec les parents ?”

Analyse 2018 – 14/15

L’analyse en un coup d’œil

La première partie de l’analyse questionne le sens des termes largement usités, parfois de manière interchangeable : éducation, courant ou méthodes pédagogiques, didactique, pédagogie : de quoi s’agit-il au juste ? Les parents les comprennent-ils ?

La seconde donne la parole à deux intervenants (un pédagogue et un enseignant) qui vont éclairer ces concepts par leur regard spécifique. Nous leur avons demandé leur point de vue particulier sur le lien qui réunit, éventuellement, la pédagogie et les parents. Un principe très souvent affirmé dans les écoles en Fédération Wallonie-Bruxelles voudrait que les parents ne doivent pas se mêler de pédagogie alors qu’ils vivent la pédagogie au quotidien : les devoirs, les leçons, les révisions, les explications, la gestion des secondes sessions imposent une expérience pédagogique parentale, à la maison. Qu’en pensent nos interlocuteurs, invités à en débattre le 3 octobre 2018 ? Est-ce important que les parents comprennent ce jargon ? N’appartient-il pas uniquement aux acteurs scolaires ? La pédagogie, un vilain mot ?

Lire l’analyse dans son intégralité : “La pédagogie : faut-il en parler avec les parents ?”, une analyse d’Olivier Van Peteghem.

Table des matières

L’analyse en un coup d’œil

La pédagogie.

La pédagogie, ce que c’est et ce que ce n’est pas.

Des pédagogues, des pédagogies, des enseignantse : un vaste monde d’expériences.

Le triangle de Jean Houssaye.

La pédagogie et les parents.

L’intérêt supérieur de l’enfant, au centre des préoccupations ?.

Un point de vue de pédagogue, Bernard Rey.

Un point de vue d’enseignant, Pierre Waaub.

Pour poursuivre le questionnement……

Bibliographie et sitographie.

La pédagogie

La « pédagogie », voilà un mot mystérieux. Beaucoup savent à peu près ce que cela signifie, peu le savent précisément ! De plus, il y a toutes sortes de pédagogie, à tel point qu’il peut être difficile de s’y retrouver en tant que parents pas forcément initiés. Certains penseurs, on le verra, se sont emparés du sujet et sont allés jusqu’à élaborer des systèmes de classification des différentes pédagogies.

Une autre question : la pédagogie, est-elle l’apanage des enseignants ? Voire des pédagogues uniquement ? Les enseignants sont-ils des pédagogues ? Les enseignants doivent-ils parler pédagogie avec les parents ? Début octobre, la FAPEO, sous un titre légèrement provocateur, posait cette question à travers une conférence : La pédagogie, un vilain mot ?[1]  

En tant que parent, on n’ose pas trop en parler, on ne sait pas toujours ce que c’est, à qui en parler, ou ce que ça implique. Les enseignants disent aux parents que la pédagogie, « ce n’est pas leur affaire ». Et ce, tant de façon individuelle que collective. Les parents n’auraient-ils même pas le droit de poser des questions pour comprendre ce que les enseignants attendent des élèves ? Pourtant, la pédagogie rentre à la maison à travers les devoirs, les questions des enfants, les évaluations, les points, l’orientation, les avis des conseils de classe, etc. Par ailleurs, il arrive souvent, comme parents, de devoir expliquer ce qui n’est pas compris, de passer du temps à tenter de comprendre avec l’enfant pourquoi il a eu 1/5 à cette question, à accompagner nos enfants qui subissent les décisions du conseil de classe. Et n’oublions pas, tous les parents ne sont pas en capacité de répondre à ces attentes.

La FAPEO aime poser des questions, titiller, creuser là où ça coince, approfondir là où l’école tente de fermer des portes aux parents. Cette discussion n’est pas nouvelle, et la réponse « c’est une question pédagogique, ça ne regarde pas les parents » reste inchangée depuis de nombreuses années. Mais de quoi parle-t-on ? Pourquoi cette porte reste-t-elle systématiquement close ?

Nous évoquerons aussi les difficultés qui peuvent surgir de part et d’autres dans le dialogue enseignants – parents avant d’exposer les points de vue de Bernard Rey, pédagogue, et de Pierre Waaub, enseignant, et enfin de tirer une conclusion qui restera ouverte.

La pédagogie, ce que c’est et ce que ce n’est pas

La pédagogie. Une définition rapide et générale : la science de l’éducation de l’enfant. Actuellement, son application est plus large, on entend souvent par pédagogie les méthodes d’enseignement pour un public d’enfants comme d’adultes. On dira d’un orateur qu’il est « très pédagogue » et de son intervention qu’elle est « très didactique ».  « La pédagogie (côté apprentissage) et la didactique (côté enseignement) sont les deux faces d’une même pièce de monnaie. Elles ne s’opposent pas mais sont complémentaires d’une même réalité : l’éducation. (…) Le didacticien est un spécialiste de l’enseignement de sa discipline. (…) Le pédagogue, pour sa part, s’intéresse principalement aux pratiques éducatives, aux finalités de l’éducation, aux méthodes pour transmettre les savoirs, à la relation humaine du couple professeur-apprenants et à ses multiples facettes. »[2]

Les termes pédagogie et éducation se confondent également bien souvent dans l’opinion générale, alors que pour les spécialistes ils sont distincts. Déjà Emile Durkheim, éminent sociologue français du 19ème et 20ème siècle, prônait une distinction claire et nette entre les deux concepts. Nous reprenons ici un passage d’un préambule à un séminaire et qui est très éclairant à ce sujet : « L’éducation étant selon lui (E. Durkheim, ndlr) « l’action exercée sur les enfants par les parents et les maîtres », une action générale « qui est de tous les instants ». Alors que la pédagogie consisterait « non en actions, mais en théories. Ces théories seraient des manières de concevoir l’éducation, non des manières de la pratiquer. » L’éducation ne serait alors « que la matière de la pédagogie » et la pédagogie consisterait « dans une certaine manière de réfléchir aux choses de l’éducation. » A la différence de la science de l’éducation cependant, la pédagogie serait une théorie pratique. Elle n’étudierait pas scientifiquement les systèmes d’éducation, mais elle y réfléchit en vue de fournir à l’activité de l’éducateur des idées qui le dirigent. »[3]

Des pédagogues, des pédagogies, des enseignants : un vaste monde d’expériences

On l’a vu, la pédagogie doit être distinguée donc de la didactique et de l’éducation. A y regarder de plus près, il n’existe pas une pédagogie mais bien des pédagogies au service de projets de société.  Quand on se penche sur le sujet, on se rend vite compte que les différentes pédagogies foisonnent et que même en les regroupant, les auteurs ne parviennent pas à se mettre d’accord sur les noms génériques. Prenons quelques exemples…

Sandrine Dumont (CNFPT[4]) annonce d’emblée que « il n’existe pas une forme de pédagogie : il existe tout un courant, qui a évolué au fil des découvertes (psychologie, médecine…), de l’histoire occidentale (économie, politique…) et des valeurs. Car la pédagogie est subordonnée à un ensemble de valeurs : idée que l’éducateur se fait du monde dans lequel il vit, de l’Homme (et de l’enfant) et des rapports mutuels entre tout ce qui fait société.»[5] Elle distingue différentes approches pédagogiques[6]

Vise à …
pédagogie de la découverte découvrir, expérimenter
pédagogie de projet Réaliser  d’un projet concret
pédagogie coopérative Organiser un système d’entraide basé sur le partage
pédagogie à effet vicariant[7] apprendre par l’imitation et l’amélioration
pédagogie de résolution de problème diagnostiquer le problème, le formuler, proposer des hypothèses…
pédagogie par objectifs passer des intentions théoriques aux réalisations pratiques

Céline Genot (FFEDD[8]) avertit également du grand nombre de pédagogies existantes. Elle les catégorise en [9]: pédagogie traditionnelle (directive), pédagogies actives (englobant les pédagogies non traditionnelles du tableau ci-dessus), les pédagogies technologiques (apprentissage soutenu par la technologie) et les pédagogies socialisées dans lesquelles l’élève est vu comme un sujet social faisant partie de la communauté et appelé à devenir un homme ou une femme social(e).

Citons encore, pêle-mêle les pédagogies de groupe, socio-constructiviste et de la motivation, archétypale, documentaire, explicite, institutionnelle, de la gestion mentale, spiralaire, de la décision, etc.[10] Le but est ici, non pas d’en faire une énumération exhaustive, mais bien de montrer à quel point les différentes pédagogies sont littéralement innombrables ! Et qu’une certaine confusion règne entre les techniques, les méthodes, les approches pédagogiques et les projets pédagogiques au service de modèles de société directement développés par leurs fondateurs respectifs. Pas facile pour un parent de s’y retrouver.

Le triangle de Jean Houssaye

triangle de Jean Houssaye

En 1988, le pédagogue Jean Houssaye construit un modèle de « compréhension pédagogique », soit une grille de lecture qui permettre des comparaisons, des rapprochements entre les diverses situations pédagogiques. qui s’articulent autour de trois éléments : apprenant (élève), savoir, enseignant, dont deux sont souvent, dans les faits, prédominants.[11]

Dans ce modèle, Jean Houssaye définit chaque acte pédagogique comme l’espace entre trois sommets d’un triangle : l’enseignant, l’étudiant, le savoir. Derrière le savoir se cache le contenu de la formation : la matière, le programme à enseigner. L’enseignant est celui qui a quelques enjambées d’avance sur celui qui apprend et qui transmet ou fait apprendre le savoir. Quant à l’étudiant, il acquiert le savoir grâce à une situation pédagogique, mais ce savoir peut être aussi du savoir-faire, du savoir-être, du savoir agir, du faire savoir… Les côtés du triangle sont les relations nécessaires à cet acte pédagogique : la relation didactique est le rapport qu’entretient l’enseignant avec le savoir et qui lui permet d’ENSEIGNER, la relation pédagogique est le rapport qu’entretient l’enseignant avec l’étudiant et qui permet le processus FORMER, enfin la relation d’apprentissage est le rapport que l’élève va construire avec le savoir dans sa démarche pour APPRENDRE.[12]

Jean Houssaye a fait remarquer que la plupart du temps, la situation pédagogique présentée aux apprenants va mettre l’accent sur deux des trois sommets, laissant alors l’un des sommets au repos, passif, inactif. C’est ce qu’il appelle la place du mort, reprenant par là une règle du bridge.[13]

Cette classification permet de sortir un peu de cette confusion ambiante dans laquelle nous avait plongé la pléthore de pédagogies existantes et permet surtout aux enseignants de veiller à maintenir un équilibre entre les trois sommets.

Pour l’enseignant, ce travail de regard sur sa propre pratique professionnelle permet aussi d’activer un signal d’alerte car s’il se rend compte qu’un processus est trop privilégié au détriment d’une autre, qu’un des sommets n’est plus activé, c’est que la situation pédagogique qui peut devenir déséquilibrée, dysfonctionner. Jean Houssaye parle alors d’un élément qui « joue au fou » : « chahut et autres formes de rébellion des élèves dans le processus enseigner ; errances et séduction dans le processus former ; solitude et abandon dans le processus apprendre. »[14]

Maintenant que nous avons approché la nature de la pédagogie, survolé quelques-unes de ses formes et appréhendé une méthode de classification, nous pouvons nous intéresser à la place des parents. Les manières d’enseigner concernent au premier plan l’enseignant et l’enfant (ou l’apprenant). Et les parents ? Les enseignants doivent-ils parler pédagogie avec les parents ? En sont-ils capables ? En ont-ils la volonté ? Ou au contraire, estiment-ils qu’il faille les en tenir éloignés ? On ne le cache pas, face à ces questions lancinantes des parents, les attentes de réponses étaient importantes. Alors, oui ou non la pédagogie est-elle l’affaire des parents ?

La pédagogie et les parents

L’intérêt supérieur de l’enfant, au centre des préoccupations ?

Et les relations parents-enseignants, ça va ? Disons que le climat qui règne entre l’école et les parents n’est pas au beau fixe et cela n’est pas nouveau[15]. La relation de confiance entre l’Ecole et les parents est rompue. En ce qui concerne les relations entre les parents et les équipes éducatives au quotidien, nous constatons, et le déplorons, les rencontres individuelles entre parents et enseignants se font à l’occasion des bulletins, des réunions des parents, des convocations pour motifs disciplinaires. Les rencontres se font donc surtout quand il y a un problème et il n’est pas étonnant que des parents les évitent. Ce que regrettent à leur tour les enseignants. Les parents qui devraient venir ne viennent pas. Et des enseignants se plaignent que les parents se mêlent de pédagogie, leur demande de justifier leurs pratiques. Les parents, de leur point de vue d’accompagnateur scolaire de l’enfant, poser des questions pour comprendre ce qui est attendu n’est pas anormal. Or, il semble que ce ne soit pas ce qui est attendu par les enseignants. Mais alors, lorsqu’un enseignant et un parent se rencontrent, de quoi parlent-ils ? Ils doivent (et veulent) néanmoins collaborer dans l’intérêt de l’enfant supérieur de l’enfant, non ?

Un point de vue de pédagogue, Bernard Rey[16]

Bernard Rey le confirme, les relations parents-enseignants sont parfois difficiles, voire tendues. Pourtant, il estime primordial pour le bien de l’élève que cette relation soit sereine. En cas de climat tendu entre les parents et les enseignants, les tiraillements ressentis par l’élève risquent de nuire à ses apprentissages. L’enfant doit pouvoir conserver une image positive de ses enseignants.

D’une manière générale, pour les enseignants, la pédagogie, ce sont les coulisses de leur métier. Pour les parents, la pédagogie est ce qui est derrière les bulletins et les devoirs. Bernard Rey partage sur ce plan notre point de vue : la pédagogie s’invite à la maison. Ce qui se passe derrière le rideau de la classe influence donc les manières de faire cours des enseignants. Et les parents n’ont en effet pas accès au scénario.

Bernard Rey lève le voile sur ce quoi, de son point de vue, la pédagogie devrait porter, et qu’il est bon pour les parents de savoir. Il distingue trois niveaux de connaissances que l’enseignant doit tenter de faire acquérir aux élèves :

  1. Le niveau des règles: par exemple, comment fait-on une addition ? Quelle sont les règles de l’accord des participes passés ?
  2. Le niveau des informations, soit les connaissances: par exemple, comment se passe un tremblement de terre, étape par étape (mouvement des plaques tectoniques…).
  3. Les savoirs: par exemple, pourquoi se passe un tremblement de terre ? Pourquoi les plaques tectoniques bougent, etc. Il s’agit des

L’apprentissage des règles demande de l’obéissance ; les informations consistent en la découverte de faits et leur description ; enfin, les savoirs consistent en la compréhension et maitrise d’explications. Selon Bernard Rey, il est toujours plus intéressant de viser les explications que de viser l’accumulation de connaissances qui sont largement accessibles à l’heure actuelle. Les situations d’apprentissage sont donc très différentes lorsque l’enseignant vise la transmission d’une règle et la construction de savoir, tant du point de vue de l’enseignant que de celui de l’élève.

L’apprentissage des savoirs et leurs manières d’être enseignés font appel à la raison, au raisonnement. Pour bien comprendre de quoi il s’agit, prenons un exemple : Rome est la capitale de l’Italie ; c’est la connaissance d’un fait. Si on explique pourquoi Rome est devenue la capitale de l’Italie, ce sera plus intéressant que de pouvoir restituer purement le fait. En l’occurrence, le fait que la capitale de l’Italie soit Rome est le résultat de conflits internes et a des répercussions politiques au niveau national encore aujourd’hui. Bernard Rey estime qu’il important de donner l’habitude de comprendre par soi-même aux futurs citoyens. Mémoriser des faits à l’heure de l’Internet et à son accessibilité à de l’information de cet ordre lui pose question. Pour présenter ces savoirs, différentes démarches pédagogiques sont possibles.

  • 1ère démarche : l’enseignant explique (expose) et les élèves doivent comprendre. C’est déjà intéressant comme démarche selon Bernard Rey, mais elle présente des limites : l’élève reste passif et peut voir l’explication comme une suite de faits à mémoriser.
  • 2ème démarche : les élèves accèdent à l’explication par des tâches intellectuelles, par des problèmes. On place les élèves dans une activité qui doit les mener à comprendre le savoir sans qu’on ne l’expose. Ce sont les pédagogies actives.

Bernard Rey soulève un problème constaté lors de ses recherches aux côtés des enseignants et des élèves : certains enfants comprendront l’activité proposée mais pas le lien avec le savoir vers lequel l’activité en question doit le mener. Par exemple : un enseignant utilise une balle de tennis éclairée avec une lampe-torche pour faire comprendre le phénomène jour/nuit. Certains élèves verront la balle et la lampe mais ne feront pas le lien avec le phénomène expliqué. Ces élèves, à la question des parents au retour à la maison, « qu’as-tu fait en classe », répondra « on a éclairé une balle ». Pour Bernard Rey, c’est pourtant le type de démarche le plus à même de mener l’élève à réfléchir par lui-même.

Surprises et malentendus : dans notre système éducatif, c’est l’approche par compétence qui est imposée (objet des épreuves certificatives externes). À la lecture du bulletin de son enfant, le parent découvre plutôt que, ce qui est évalué, ce sont les savoirs, les savoir-faire et les compétences. De plus, une génération de parents d’élèves a connu, comme élève, une distinction encore plus réduite, centrée uniquement sur l’évaluation des connaissances. Il est encore habituel que des parents tentent de faire une conversion entre ces deux types de classification. Parents et enseignants ne parlent pas le même langage, le pédagogue en parle encore un autre. Et Bernard Rey nous donne par ailleurs son point de vue de pédagogue. Or, nous avons vu plus haut que la pédagogie porte un projet particulier.

En outre, nous apprenons que la manière dont un enseignant va donner son cours diffèrera en fonction de son cursus, de son orientation éducative, le développement de sa démarche pédagogique. Bernard Rey nous dit donc que les enseignants ont des pratiques pédagogiques différentes, c’est ce qui s’appelle d’ailleurs la liberté pédagogique de l’enseignant. Autrement dit, en absence d’uniformisation des pratiques, chaque rencontre avec un enseignant est une nouvelle expérience pédagogique. Ce qui n’est pas pour faciliter la communication quand la progéniture en 3ième secondaire est encadré par une dizaine d’enseignants. En fait, les démarches pédagogiques pour faire acquérir les trois niveaux d’apprentissages sont innombrables, et surtout elles sont non-dites, non-explicitées. Nous espérons qu’elles sont au moins conscientes, réfléchies, élaborées et évaluées par l’enseignant. Nicolas Boileau recommandait (17ème) :  Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement. Et les mots pour le dire arrivent aisément.  Si tel est bien le cas en matière de choix pédagogiques personnels, et d’école par ailleurs, en parler ne devrait pas être si difficile ?

Un point de vue d’enseignant, Pierre Waaub[17]

D’emblée, Pierre Waaub se demande s’il faut encore charger les parents des préoccupations pédagogiques, alors que la pression, selon les enseignants, sur les parents s’est accentuée ces dernières années : Les parents sont dans une situation telle qu’ils se sentent responsables de la réussite ou de l’échec de leur(s) enfant(s). De même que de l’épanouissement de ce(s) dernier(s). De même que de leur protection contre tous les risques possibles et imaginables.

Par ailleurs, Pierre Waaub rappelle que la situation de l’école a changé également. Elle connaît, comme institution, un sentiment de perte de légitimité qu’il explique par trois raisons :  multiplication des attentes vis-à-vis de l’école ; individualisation de ces attentes ; augmentation des inégalités sociales et scolaires. Il en résulte un métier d’enseignant fragilisé, dévalorisé et sur la défensive.

Alors, selon Pierre Waaub, le parent qui parle de pédagogie avec l’enseignant, est-ce une bonne idée ?  La réponse à cette question est tout en nuance, il y a du pour et du contre, nous dit-il.

Selon lui, oui, il faut parler pédagogie aux parents car :

  • L’école est un bien public et appartient donc à tout le monde.
  • Le partenariat avec les familles est essentiel parce que chaque enfant est différent et cela permet de clarifier les attentes de part et d’autre.

Mais il ne faut pas parler pédagogie aux parents car ce sont deux territoires qui s’opposent nécessairement. A l’école, l’affectif ne doit pas être l’unique but. L’école doit viser à la socialisation. De plus, il faut assurer la légitimité de la culture professionnelle. Ce qui se passe à l’école dépend des professionnels de l’école.

  • La multiplicité des demandes individuelles fait que l’enseignant sera vite submergé.
  • Les parents vivent des réalités parfois opposées.

Il y aurait, selon lui, un contexte ambigu qui réclame à la fois un partenariat et une séparation des territoires.

Voilà les parents de retour à la case de départ : aux parents l’éducation, à l’école l’instruction. Et la pédagogie, quel territoire occupe-t-elle ? A qui appartient cette dimension ?

Pour poursuivre le questionnement…

La question centrale – faut-il parler pédagogique avec les parents ? – paraissait pourtant simple au départ ; les éléments de réponse à cette question ne le sont cependant pas. Au terme de cette analyse, comme au moment de conclure les échanges avec Bernard Rey et Pierre Waaub le 3 octobre dernier, nous voilà à nouveau face aux questions de départ.

Des parents déjà très sollicités, méfiants vis-à-vis de l’école, elle-même ébranlée, telle serait la situation actuelle. Alors, faut-il ajouter la pédagogie au centre des discussions ? La pédagogie, on l’a vu, constitue à elle seule une matière assez vaste et à multiples facettes. Il n’existe pas une pédagogie mais des méthodes et techniques variées répondant à des objectifs d’apprentissage.  Ce qui semble riche aux parents, c’est justement la diversité des manières de faire. Les parents attendent des enseignants qu’ils soient en capacité d’utiliser cette variété d’outils pour différencier leurs pratiques en fonction de l’analyse des besoins pédagogiques de chacun des enfants et des activités d’apprentissage prévues ; qu’ils soient également en mesure d’expliquer ce qu’ils font, de porter un regard critique sur les manières de faire et les fondements. Et cela en pleine conscience.

Une certitude semble quand même se dessiner : la pédagogie n’est donc pas un vilain mot, ni un mot tabou, la pédagogie est discipline universitaire ; les pédagogues possèdent un diplôme, exercent un métier. Comme les enseignants. L’enseignant n’est pas un pédagogue, comme le pédagogue n’est pas un enseignant. Et pourtant ces spécialités se complètent, se répondent, devraient se nourrir l’une l’autre, au profit du développement de tous les élèves. Tiens, n’est-ce pas la même chose avec les parents ?

Quant aux parents, des incertitudes demeurent sur leur rôle, leur place ; à tout le moins la position de chacun de nos interlocuteurs n’est pas tranchée. Côté pile :  l’école n’appartient pas qu’aux enseignants. Les parents sont contents de l’entendre. C’est mieux que parents et enseignants se respectent et ne se dénigrent pas. Là aussi les parents applaudissent. Côté face – et concret : si un parent chimiste constate une erreur dans le cours de chimie de son enfant et que l’injonction qui lui est faite est de ne pas mettre l’enseignant en difficulté pour conserver, auprès de son enfant, une bonne image de l’enseignant, que doit-il dire, faire ?  À cette question, qui clôturait les échanges avec la salle, pas de réponse simple. La responsabilité de la communication revient au parent : le faire remarquer oui/non ? Comment en parler « comme il le faut » (selon quelles normes ?) pour ne pas nuire à l’image de l’enseignant et à sa légitimité ? Seule l’image et la légitimité de l’enseignant sont-ils en jeu ? En fin de compte, quel message est-envoyé aux élèves ?


[1] La pédagogie, un vilain mot ? On en parle ensemble, une conférence de la FAPEO avec Bernard Rey et Pierre Waaub .Athénée Royal de Nivelles ; 3 octobre 2018. Il ne s’agit pas ici d’une retranscription fidèle des interventions de Bernard Rey et Pierre Waaub mais bien d’une analyse qui intègre leurs points de vue respectifs sur le sujet abordé :  la pédagogie et les parents.

[2] FADELI, Ahmed. Différence entre didactique et pédagogie, 2017.

[3] Le rapport entre éducation et pédagogie, avant-goût du séminaire du 28 octobre, Les Educations – XIXème et XXIème siècles, CIRCEFT. 15/10/2014.

[4] CNFPT : Centre national de la Fonction Publique Territoriale

[5] DUMONT, Sandrine. Les différentes approches pédagogiques. CNFPT, mai 2017.

[6] DUMONT, Sandrine. Les différentes approches pédagogiques, CNFPT, mai 2017.

[7] Apprentissage vicariant correspond, dans le contexte scolaire, à ce que l’enfant peut apprendre en marge du discours du maître proprement dit : en regardant faire et en écoutant ceux qui savent faire ou encore, par extension, en analysant la production de ceux qui savent faire.

[8] FFEDD : Fédération Francophone des Ecoles de Devoirs.

[9] GENOT, Céline. Les différentes pédagogies. La Filoche n°15 ; FFEDD.

[10] Wikipedia, « Pédagogie », sur wikipedia.org, consulté le 21-12-18

[11]  VELLAS Etiennette, Comparer les pédagogies : un casse-tête et un défi. Université de Genève. FPSE À paraître dans Educateur, numéro spécial Mai 2007.

[12] http://eduscol.education.fr/bd/competice/superieur/competice/libre/qualification/q3a.php

[13] Pour expliquer sa catégorisation, Jean Houssaye fait appel à la place du mort qui fait référence au bridge où les cartes du « mort » sont étalées sur la table et les autres joueurs jouent pour lui. Le rôle du « mort » est essentiel car sans lui, il n’y a plus de jeu.

[14] VELLAS, Etiennette « Comparer les pédagogies : un casse-tête et un défi ». Université de Genève. FPSE À paraître dans Educateur, numéro spécial Mai 2007 ;

[15] La Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel en a fait son objet social depuis 1966 et a consacré de nombreuses analyses sur cette question. La dernière en date : Joëlle Lacroix, Le jeu des 7 parents : quel parent êtes-vous ?, analyse de la FAPEO, 15/15, 2016 ; www.fapeo.be/analyse-2016-1515-le-jeu-des-7-parents-quel-parent-etes-vous/

[16] Bernard Rey, Professeur à Université Libre de Bruxelles – Sciences de l’Éducation – recherches en action, regards sur l’acquisition et l’évaluation des compétences, membre de la Commission de Pilotage du système éducatif de la Communauté Française de Belgique.

[17] Pierre Waaub ;. Enseignant, Vice-Président Changement pour l’égalité (Cgé), chargé de missions FGTB.

Bibliographie et sitographie

  • Conférence FAPEO ; La pédagogie, un vilain mot ? On en parle ensemble (avec Bernard Rey et Pierre Waaub) ; Athénée Royal de Nivelles ; 3 octobre 2018.
  • Lire-Ecrire,  Est-il permis aux parents de se mêler de pédagogie ?,
  • lire-ecrire.org/conseils-pratiques/aider-a-apprendre/les-parents-et-lecole/parents-et-pedagogie.html
  • Le rapport entre éducation et pédagogie, avant-goût du séminaire du 28 octobre. Les Educations – XIXème et XXIème siècles, CIRCEFT, 15 octobre 2014,
  • https://educ19e21e.hypotheses.org/255
  • DUMONT, Sandrine. Les différentes approches pédagogiques. CNFPT, mai 2017,

www.wikiterritorial.cnfpt.fr/xwiki/bin/view/vitrine/Les+diff%C3%A9rentes+approches+p%C3%A9dagogiques

Lire l’analyse dans son intégralité : “La pédagogie : faut-il en parler avec les parents ?”, une analyse d’Olivier Van Peteghem.

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