La FAPEO constate
C’est le système scolaire francophone qui est en échec, pas nos enfants ! Les constats de cet échec se répètent d’année en année, de décennie en décennie pour être précis. En effet, en Fédération Wallonie-Bruxelles, l’évaluation de notre système se fait depuis 1994, date des premières évaluations externes non certificatives. Cependant, déjà en 1984, les travaux de Marcel Crahay de l’ULG sur les résultats des élèves et les performances du système délivraient leur lot de questionnements.
Depuis 35 ans, les évaluations externes démontrent que les enfants de milieux défavorisés et les enfants ayant redoublé ont des résultats nettement inférieurs aux autres. Les premières enquêtes internationales confirment ce constat: notre système d’enseignement est profondément inégalitaire et le redoublement est une pratique inefficace qui, toutefois, sert le système en termes de sélection des publics.
Les enfants de milieux défavorisés sont aussi sur- représentés dans l’enseignement qualifiant et dans l’enseignement spécialisé. Ces enfants se retrouvent dans ces filières à la suite de l’accumulation de difficultés scolaires non résolues et d’échecs scolaires les conduisant soit à un redoublement, soit à une orientation vers les filières techniques et professionnelles, voire la formation en alternance, quand ce n’est pas vers l’enseignement spécialisé. Ces orientations successives ne se font pas par choix : il s’agit d’une sanction des études qui relègue des jeunes, de marche en marche, en cascade, hors des murs de l’enseignement général ordinaire, les privant d’une formation de base (lire-écrire-calculer- prendre la parole et argumenter) indispensable à leur émancipation. Il s’agit bien d’une relégation au sens propre : mettre à part, de côté.
Les indicateurs de l’enseignement, dont s’est heureusement doté le service de pilotage du système éducatif de la FWB, font part d’année en année de ces constats affligeants. Au-delà des chiffres, il faut bien réaliser l’importance des dégâts sur les jeunes et leurs parents en termes d’estime de soi, de charge mentale scolaire qui s’invite dans les familles, d’externalisation de la responsabilité pédagogique, de budget. Plus globalement, la relation de méfiance que les parents, usagers d’un service public, développent est importante : ils doutent de la capacité de l’école à remplir ses missions.
En ce qui concerne particulièrement l’externalisation pédagogique, nous constatons conjointement une tendance de l’école à renvoyer rapidement le parent vers un service paramédical en cas de difficultés scolaires, avec le risque d’une surmédicalisation, et le développement accru sur le marché du soutien scolaire d’offres et de prestataires en tous genres : coaching scolaire, développement personnel à l’école, stage de méthodologie, etc. Dans le même temps, des enfants se retrouvent sur des listes d’attente interminable pour des rééducations logopédiques, pour une place dans une école de devoir : où se trouve finalement la limite entre le soutien médical et pédagogique ? En résumé, quand un enfant présente des difficultés scolaires, soit il ne travaille pas assez, soit ses parents sont démissionnaires, soit il a des soucis d’ordre médical. Dans tous les cas, l’école se déresponsabilise et renvoie à des tiers externes.
Que nous disent Les indicateurs de l’enseignement 2018 et les données du service de pilotage du système éducatif ?
L’enseignement qualifiant et l’enseignement spécialisé sont réservés aux plus démunis
Les élèves les moins favorisés de 16 ans sont 76 % à être en retard ; 53 % dans le qualifiant et 7 % dans le spécialisé. Les plus favorisés sont 36 % en retard ; 19 % dans le qualifiant et 2 % dans le spécialisé..
L’enseignement qualifiant n’est pas un choix : les élèves y redoublent aussi
En 2016-2017, on observe des taux de redoublants très différents en 3ème année secondaire selon la forme d’enseignement suivi : 31,6% dans la forme technique de qualification, 28,4% dans la forme professionnelle, 11,9% dans la forme générale, 27,1% dans la forme technique de transition.
Taux de redoublants en 3ème année secondaire selon la forme d’enseignement suivi
Le retard scolaire des jeunes est devenu une norme au fil des années
En 2016-2017, il y a 7,7% de redoublants en 1ère primaire, 17% en 5ème primaire, 25% en 1ère secondaire, 34% en 2ème secondaire, 49% en 3ème secondaire, 59% en 5ème secondaire…. Qui dit mieux ?
Taux de redoublants par niveau
La pénurie d’enseignants est lourde, pénalisante et injuste socialement
Lourde
Un rapport 2017-2018 du Service Général d’Inspection sur la pénurie d’enseignants en secondaire, présenté en séance du Comité de pilotage du système éducatif (et non publié), nous apprend que sur un total de 149.106 périodes de cours organisables dans les 1.692 groupes visés, 14,1% ne sont pas dispensées.
Les parents nous font très régulièrement part des périodes de cours manquées par leurs enfants et de leurs inquiétudes sur la suite de la scolarité. Ainsi, comment peut-on penser qu’un élève qui n’a pas eu de cours de maths/physique/langue, durant 3 à 6 mois – voire une année complète nous est-il revenu – ait atteint les compétences fixées par le législateur et puisse réussir ses examens de fin d’année ? Les périodes de cours manqués sont pour une part dues à des raisons organisationnelles et pour l’autre dues à la pénurie d’enseignants.
Chaque année, un arrêté publie la liste des matières en pénurie de profs : 33 matières sont en pénurie. En 2017, le néerlandais, l’anglais, les sciences, les sciences économiques et sociales, l’informatique, les maths pour l’ensemble du cycle secondaire, ainsi que le français pour le degré inférieur des cours techniques (horticulture, mécanique, soins infirmiers, etc.).
Les auteurs de ce rapport d’inspection se sont livrés à des calculs complexes pour estimer le nombre de professeurs qui entreront sur le marché et ceux qui en sortiront à l’horizon 2019-2020 et ont comparé ce résultat à l’augmentation des besoins démographiques. Ils s’attendent à un déficit situé dans une fourchette de minimum 160 à maximum 1.064 professeurs à temps plein. On y lit aussi que la pénurie touche toutes les écoles,
« les moins favorisées » comme « les plus favorisées ». Mais de fortes disparités sont signalées concernant la qualification du personnel : la proportion déclarée d’enseignants possédant le titre requis atteint 61 % dans les premières, 90% dans les secondes. Autrement dit, la part des enseignants ne disposant pas d’un diplôme pédagogique s’accroît fortement lorsque le niveau socio-économique des établissements diminue. Or, le rapport montre également une corrélation entre la détention d’un titre et l’application des programmes et des activités proposées aux élèves.
Pénalisante
Le législateur en appelle au bon sens des Conseils de classe en gelant les examens, ou en supprimant des parties d’examens. Mais, quoi qu’il en soit, sur la durée du parcours scolaire, ce n’est pas la solution : ce qui n’a pas été appris n’est pas récupéré l’année suivante, les lacunes persistent, les mises en échecs s’installent.
Injuste socialement
La situation met une pression sur les parents qui vont suppléer aux lacunes pédagogiques: soit en faisant la classe eux-mêmes – alors qu’ils ne sont généralement ni professeurs, ni pédagogues – soit en payant des professeurs, ou pseudo-professeurs, particuliers.
Il s’agit d’une double peine : le temps libre de l’élève se voit amputé par un temps scolaire ; et les parents paient un enseignement qui devrait être dispensé par un service public – les écoles – gratuitement. En plus d’être une solution qui engendre une double peine et une double sous-traitance pédagogique (de l’école vers les parents, de parents vers le marché du soutien scolaire), elle renforce les inégalités sociales et l’injustice sociale: des jeunes sont soutenus pédagogiquement par des parents en capacité socio-économique de le faire; d’autres ne le sont pas.
La pénurie d’enseignants n’a donc pas le même impact sur tous les élèves: elle est d’autant plus préoccupante qu’elle vient renforcer les inégalités scolaires de ceux qui cumulent déjà les difficultés socio-économiques et sociales.
Parler de « ghettos scolaires », c’est parler de ségrégation scolaire et sociale qui se cristallise sur certains territoires, dans certains établissements. La ségrégation scolaire implique le regroupement des élèves aux caractéristiques similaires au sein d’une même école, une répartition inégale des élèves entre écoles. Autrement dit, le regroupement des « bons » élèves au sein d’un même établissement et des
«mauvais» élèves au sein d’un autre établissement. En Belgique francophone, cette ségrégation scolaire est forte et renforce les inégalités déjà existantes. En effet, à chaque enquête du Programme International pour le Suivi des Acquis des élèves1 (PISA), le système scolaire belge figure systématiquement parmi les mauvais élèves des pays où les disparités de résultats sont les plus importantes entre classes sociales: la différence de résultats scolaires entre les élèves les plus favorisés et les plus défavorisés est la plus marquante.
Les jeunes sont victimes du contexte de forte ségrégation scolaire. Le rapport du GERM-ULB de 2017 commence son introduction par une information alarmante : l’équivalent de plus de huit années d’études sépare les élèves les plus forts des élèves les plus faibles.
Un exemple ? 16% des élèves de Saint-Josse-ten- Noode (Bruxelles) accusent un retard de minimum 2 ans en première secondaire tandis qu’ils sont 5% à être dans ce cas à Woluwe-Saint-Pierre, soit 3 fois moins.
Proportion d’élèves dans le premier degré du secondaire avec au moins 2 ans de retard par la commune de résidence, Région bruxelloise, année scolaire 2016-2017
Ce n’est pas si étonnant quand on sait que, malgré le décret « Inscription » à l’œuvre depuis près de 10 ans, des mécanismes de sélection et de relégation des publics s’opèrent encore et toujours, notamment par :
- l’utilisation du projet d’établissement comme un « catalogue publicitaire », une « stratégie marketing » propre à chaque établissement, adapté à son public, confirmant les présupposés d’attentes pour une population marquée par ses caractéristiques socio-économiques, dans un contexte de quasi-marché scolaire ;
- l’organisation de classes de première différenciée ou de DASPA uniquement dans les établissements en encadrement différencié ;
- l’inscription en première secondaire en personne et sur rendez-vous avec la direction dans l’école de son premier choix (pratiques de dissuasion, demande illégale de fournir les bulletins, ) : les parents nous interpellent et témoignent de ces manières de faire discriminantes et dissuasives ;
- la pratique courante des exclusions définitives et/ou le refus de réinscription : 3400 élèves en 2017.
Par ailleurs, les inscriptions dans le fondamental sont elles aussi, dans les zones en tension, un casse-tête pour les parents. Effectivement, certaines écoles organisent des procédures centralisées, d’autres non et ceci à des dates différentes. Un site informe sur les places disponibles dans le fondamental mais il ne semble pas régulièrement mis à jour.
L’actualité politique récente nous annonce une 3ème année maternelle OBLIGATOIRE. Nous sommes à la fois favorables et prudents :
- Favorables : en effet, la fréquentation de l’école maternelle est un levier de lutte contre les inégalités.
- Prudents : l’obligation est-elle synonyme de qualité d’accueil et d’apprentissage dans de bonnes conditions ? Il ne faudrait pas un retour en arrière : si le politique rend la 3ème maternelle obligatoire, il ne faudrait pas revoir la procédure actuelle qui a permis de diminuer fortement le maintien en 3ème maternelle : désormais, seul le Ministre peut autoriser une année complémentaire et ceci à la demande des
La FAPEO demande
- L’instauration d’un tronc commun polytechnique jusqu’à 15 ans va dans la bonne direction mais des questions essentielles ne sont pas abordées. Une de ces questions, centrale, est celle de l’évaluation. La réforme telle qu’elle est prévue laisse, à travers le règlement des études, une liberté totale aux écoles en matière d’évaluation des élèves. Pour la FAPEO, le pouvoir régulateur doit fixer des normes:
- Suppression des secondes.
- Réglementation du temps consacré aux évaluations.
- Suppression de la dénomination maternelle/ primaire/secondaire et adoption d’une logique de tronc commun, jusqu’à 15 ans (incluant la 3ème secondaire dans le modèle actuel).
- Pour un parcours continu dans le Tronc commun, il faut que le législateur fixe comme principe pédagogique l’évaluation formative et la différenciation.
- En ce qui concerne les grilles-horaires du futur Tronc commun:
- Les deux périodes d’accompagnement personnalisé doivent figurer dans la grille- horaire hebdomadaire pour tous les élèves.
- La grille-horaire obligatoire du Tronc commun doit reprendre exclusivement les disciplines communes à tous les élèves ; autrement dit, les cours de religion et de morale ne font pas partie de la grille-horaire
- L’intégration dans la journée scolaire des travaux en autonomie et donc la suppression du travail à domicile pendant toute la durée du tronc commun.
- La suppression du redoublement durant le tronc commun. Nous n’avons que partiellement été entendus dans les travaux du pacte. Néanmoins, la procédure de maintien telle que prévue dans le livre 2 du codex devrait rendre ce redoublement exceptionnel. Une procédure de recours externe est prévue en cas de désaccord des parents. Si le livre 2 prévoit bien ce recours, la forme et la composition de cette chambre de recours externe ne sont pas fixées.
- La FAPEO demande que :
- Les parents soient représentés dans cette chambre de recours
- La chambre de recours soit inter-réseaux.
- La chambre de recours se prononce non seulement sur la base de l’effectivité des procédures mais aussi sur le fond.
- En ce qui concerne les périodes de cours manqués et la pénurie d’enseignants, la FAPEO demande que le pouvoir régulateur adopte une politique de régulation en matière d’affectation des enseignants. Et ceci, dans le but d’affecter prioritairement les enseignants détenteurs de titre requis dans les écoles en encadrement différencié
- À l’entame de cette nouvelle législature, dans le cadre de la réforme de la gouvernance, la mise en place de Plateformes locales de concertation pour répondre aux objectifs de mixité sociale. Il va de soi que ces instances de concertation locale doivent intégrer tous les acteurs du système scolaire.
- La mise à jour du site sur les places disponibles en l’élargissant à tous les niveaux et types d’enseignement. Ce site devrait aussi renseigner les dates d’inscription et les options proposées.
- L’évaluation du décret « Inscription » et le cas échéant sa révision.
- L’organisation d’une inscription en 1ère commune de l’enseignement secondaire centralisée et numérique afin d’éviter les pratiques de sélection des publics par les écoles.
- En ce qui concerne les exclusions définitives, la création d’une chambre de recours externe inter-réseaux qui intègre une représentation des parents.
- En ce qui concerne la 3ème année maternelle obligatoire: nous souhaitons que sa mise en œuvre fasse l’objet de réflexions avec tous les acteurs de l’enseignement.